Définition du viol : « Les argumentaires juridiques byzantins donnent un sentiment de déconnexion totale avec la souffrance des victimes »

Publié dans Le Monde, le 12 décembre 2023.

Si elle était adoptée, la directive qui fonde le viol sur le non-consentement obligerait les États membres à se doter d’un arsenal législatif pour lutter contre tous les types de violences faites aux femmes, assurent vingt-trois eurodéputés, membres de la majorité présidentielle, dans une tribune au « Monde ».

Les négociations s’intensifient au niveau européen entre les États membres et le Parlement européen sur la première directive de lutte contre les violences faites aux femmes. Un groupe de pays, dont la France, hésitent encore à soutenir une définition européenne du viol pour des raisons purement techniques.

Alors qu’une femme sur vingt est victime de viol en Europe, les argumentaires juridiques byzantins opposés par les États membres donnent un sentiment de déconnexion totale avec la souffrance vécue par les victimes.

Nous, eurodéputés de la majorité présidentielle, appelons donc le gouvernement à permettre de finaliser les négociations avec une définition européenne du viol en phase avec les aspirations de notre temps.

La France a été à l’origine de la directive. Si elle était adoptée, elle obligerait les États membres à se doter d’un arsenal législatif solide pour lutter contre tous les types de violences faites aux femmes : le cyberharcèlement, les mutilations génitales, les appels à la violence et aussi le viol. Une révolution pour s’assurer que, partout en Europe, quel que soit leur pays, les femmes soient protégées.

Cet engagement français est la suite logique de notre action au niveau national pour la lutte contre les violences faites aux femmes, et plus généralement dans notre combat pour l’égalité. Cette grande cause des deux quinquennats est la cause de toute la majorité et de tous les Français. Nous sommes fiers de ce bilan et le défendons aussi sur le plan européen. La France est d’ailleurs un des pays où le viol est le plus sévèrement puni en Europe. Notre majorité, sous l’impulsion du Président de la République , a adopté trois lois qui ont considérablement étoffé notre droit pénal contre les violences sexuelles et sexistes, intrafamiliales et conjugales.

C’est ce qui explique notre soutien plein et entier à la proposition du Parlement européen d’une définition européenne du viol, fondée sur le non-consentement. Fait rare, cette définition a été soutenue par la quasi-totalité des forces politiques françaises à l’exception du Rassemblement national – fidèle à son agenda rétrograde.

Alors pourquoi ce blocage ? Deux questions de technique juridique sont avancées.

Le premier problème serait que l’Europe n’a pas la compétence pour traiter du sujet du viol. La protection des droits fondamentaux est pourtant la raison d’être même de l’Union européenne. Quel signal envoyons-nous là à considérer le viol comme en dehors de l’action communautaire ? Nous ne laisserons personne faire croire que l’Europe ne doit pas être là pour les femmes. Là où les extrêmes arrivent au pouvoir, les droits des femmes sont menacés. C’est le meilleur argument pour une protection à l’échelle européenne.

Le second problème, purement français, serait qu’une définition européenne pourrait, dans sa transposition, fragiliser l’édifice juridique national. Le droit pénal français a en effet ses spécificités et il faut les prendre compte. Nous rappelons que la transposition est de la responsabilité des États.

Nous sommes persuadés que les juristes de nos ministères ont toutes les compétences pour appliquer cette définition, tout en protégeant notre ordre juridique. Nous demandons juste que leur expertise, à l’œuvre sur l’ensemble des autres compétences européennes, le soit aussi au service des femmes.

Toutefois, que nous soit opposé l’un ou l’autre de ces arguments, ils nous posent un problème de fond : ce n’est pas aux femmes de s’adapter aux complexités de notre droit, c’est au droit de s’adapter aux besoins de protection des femmes. La volonté politique est là. La France peut sortir les négociations de l’impasse. N’ayons pas peur de notre propre audace !

Les signataires : Stéphane Séjourné, président du groupe Renew Europe ; Valérie Hayer et Marie-Pierre Vedrenne, coprésidentes de la délégation Europe Ensemble au Parlement européen ; et les eurodéputés (Renew Europe) Catherine Amalric, Stéphane Bijoux, Gilles Boyer, Sylvie Brunet, Pascal Canfin, Catherine Chabaud, Ilana Cicurel, Jérémy Decerle, Laurence Farreng, Sandro Gozi, Christophe Grudler, Bernard Guetta, Pierre Karleskind, Fabienne Keller, Nathalie Loiseau, Max Orville, Dominique Riquet, Irène Tolleret, Stéphanie Yon-Courtin et Salima Yenbou.

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Photo de Markus Spiske sur Unsplash

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